La saveur d'un voyage en 1555 avec cet extrait de ce livre que je me suis permis d'adapter tant bien que mal en français moderne:


COMPTES DU MONDE AVENTUREUX

Où font récitées plusîeurs belles Histoires mémorables & propres pour réjouir la compagnie, & éviter la mélancholie.

A PARIS

Par Etienne Groulleau.
1555

 

AVX SAGES ET VERTVUEUSES DAMES DE FRANCE A. D. S. D. leur très humble & affectionné serviteur qui les salue & (leur souhaite une)

heureuse félicité.

chevalmoyenageMes Dames peu de jours sont passés en faisant un voyage au pays de provence, & traversant par le Dauphiné pour gagner la Savoie par ce long du chemin, j'étais fort soucieux de l'exécution des affaires qui m'avait conduit jusque là, mais comme refusant de discourir en moi même tous les moyens d'achever l'entreprise que j'avais commencé,pensant chercher mon propre remède à mon retard, je découvrais sur les champs certaines troupes de gentilhommes et demoiselles suivant d'assez près une litière; alors perdant le sujet qui me rendait tout pensif, désireux d'atteindre cette compagnie pour éviter de penser à mes soucis, j'avançais le train de mes chevaux, et par chance je croisai un page demeuré derrière, lequel sans attendre ma plus longue prière me nomma facilement le maitre et le conducteur de la troupe. Ainsi trouvant la position du page gracieux et modeste (selon l'adage) et soudain se fiantt à mon jugement que ce seigneur devait avoir de la bonne nourriture, ce qui présentait des avantages, et pour vérité, je ne fus pas trompé parcequ'un gentilhomme s'occupant des branquarts de cette litière se présenta et me fit bonne figure avec son visage gaie et honnête en me demandant de le chemin que je voulais prendre.
En voyant ce visage franc et ouvert et en y trouvant un je ne sais quoi plus aimaible que ma perte de temps gênant mon voyage; ce qui n'était rien au regard d'une si favorable rencontre: rien de mieux pour moi que pouvoir choisir une compagnie plus familière et de mon propre naturel.
Car ayant été abordé par cette gracieuse personne et trouvant sa volonté de fraterniser tellement proche de la mienne qu'avant d'arriver à l'hotellerie l'excellence de ses bons propos me confirma ce que je pensais et c'est ainsi qu'à l'entrée du logis chacun se préparant à descendre, le gentilhomme s'excuse envers moi et descenda le premier à fin d'approcher la litière dans laquelle je n'avais pas pu distinguer ce qu'il y avait dedans pour être resté trop longuement amusé aux discours passés sur le chemin; mais comme j'empoignais mon cheval à un de mes gens, et découvre deux gentilhommes pressés, lesquels s'approchant du personnage si curieusement entretenu, l'aiderent à descendre de la litière: c'était une jeune demoiselle qui semblait avoir les jambes faibles et douloureuses, d'autant qu'on la porta sur une chaise en sa chambre où le seigneur de la troupe prit ma main pour me conduire découvrant à l'entrée dès le premier coup d'oeil son visage qui jusqu'alors m'avait été caché faisant luire sur nous un rayon d'une grande et rare beauté qu'au même moment mon coeur  ne peut plus se commander à la vue de cette chose si excellente qu'il s'émeut de telle puissance que la raison qui devait se maitriser en moi eut assez à couvrir je ne sais quel sot et soudain changement, éblouissant tous mes esprits. Et en cette altération je suis conduit et présenté devant elle pour la baiser , non toute fois sans montrer ma contenance quelque peu égarée mais désirant fuir un si épineux passage et repousser vivement l'occasion d'y entrer et je m'efforce selon mon pouvoir de remercier la demoiselle, qui commença à tenir différents propos avec les gentilhommes en attendant d'aller diner durant lequel tant de discours furent déduits pricipalement du folâtre amour qu'on laissa écouler toute cuisante mélancholie, mais me sentant encore un peu étonné d'une telle rencontre, je demeurais fort pensif en contemplant les contenances diverses de tous et principalement du sujet auquel contre mon vouloir et sans y penser, m'étais emprunt jusqu'au vif, or, parceque le lieu où nous allons coucher était loin, on fit diligense de préparer les chevaux et la litière où l'on porta la demoiselle, chacun montant à cheval. 

Le gentilhomme qui me montrait des signe d'amitié ne voulait pas partir sans moi et tout au long du chemin, suivant sa vertueuse, s'efforça à me faire connaitre le plaisir qu'il avait à me communiquer ses affaires les plus privées jusqu'à discourir par le menu la seule occasion de son voyage, m'otant  ainsi la brulante envie que nourrissait secretement mon coeur d'entendre le nom de la demoiselle 
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Source et suite de cette ouvrage ici:
Les comptes du monde adventureux, où sont récitées plusieurs belles histoires mémorables


Source des images par ordre d'apparition:
La litière (Dossier Gallica BNF)
Tacuina sanitatis (XIV century)
Litière (Gallica BNF)